Syndicat La FNSEA face à un tournant
Fin d’une époque. Le syndicalisme majoritaire doit trouver un nouveau souffle.
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Brest, le 29 mars 2017. L’heure de la pause au 71e congrès national de la FNSEA. Les grognards du syndicat se retrouvent à la buvette. Entre blagues et rires forts, les mines s’assombrissent à l’évocation des derniers évènements qui ont bouleversé la grande maison. « On a dû faire face à un imprévu », lâche, tout en retenue, le président de la FDSEA du Finistère, Thierry Merret. Il finit par se livrer : « Xavier Beulin était notre capitaine. Un breton dans l’âme… Son départ nous a tous chamboulés. » L’ombre de l’emblématique patron de la FNSEA, candidat à sa succession pour un troisième mandat avant son décès brutal, le 19 février dernier, planait sur ce congrès électif. Portrait affiché à l’entrée de la salle Brest Arena, discours d’hommage, longs applaudissements… L’émotion était au rendez-vous. Le sursaut, aussi. Car « le combat continue », affirme Thierry Merret. L’élu finistérien fait partie, avec 68 collègues, du nouveau conseil d’administration présenté à Brest. Ce sont eux qui, le 18 avril prochain, adouberont leur présidente, Christiane Lambert.
Resserrer les rangs
Seule en lice, cette dernière a reçu par avance l’approbation symbolique des congressistes en prêchant devant eux pour « l’unité syndicale » et en maintenant le cap fixé par son prédécesseur. En particulier dans la feuille de route adressée en tribune au futur pouvoir, à trois semaines de l’élection présidentielle : adaptation du droit de la concurrence, réduction des normes, modernisation des outils de production, TVA sociale, statut de l’agriculteur… De quoi rassurer les troupes, déjà ébranlées par l’instabilité économique et les incertitudes politiques. Il faut resserrer les rangs, et Christiane Lambert en a bien conscience. « L’unité, c’est fragile », admet-elle. Entre la mise au pas des 31 Associations spécialisées (AS), véritables « États dans l’État » selon certains, et la cohésion entre éleveurs et céréaliers des 94 fédérations départementales, l’exercice relève parfois du grand écart. « Nous sommes une fédération, ça ne veut pas dire que nous devons suivre un seul homme, ou en l’occurrence une seule femme », revendique un adhérent. Ce qu’admet Christiane Lambert. « La difficulté est de trouver le point d’équilibre entre la liberté d’agir de chacun et une forme de fidélité avec la ligne que nous portons », explique-t-elle. Question de dosage. Ce défi démocratique est d’autant plus important que l’unité est une étape essentielle pour mener l’autre combat cher au cœur de l’éleveuse : « redorer le blason » de son syndicat auprès de la société. Pour ce faire, elle souhaite « montrer vraiment ce qu’est l’agriculture française » et entend communiquer davantage sur des thématiques aussi sensibles qu’attendues : le respect de l’environnement, la qualité de l’eau, la biodiversité, le bien-être animal… Un tournant dans la communication syndicale qui a déjà ses répercussions dans les relations avec les « minoritaires ». Lors du Salon de l’agriculture, la présidente par intérim a rédigé son premier communiqué avec la Confédération paysanne et la Coordination rurale « pour dire ensemble stop à la stigmatisation pratiquée par les anti-viande ».
La cogestion en question
En froid avec la FNSEA et excusé par son devoir de réserve avant la présidentielle, le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, n’était pas présent à Brest pour commenter cette nouvelle approche. « Je ne veux pas donner de conseils à Christiane Lambert, confiait-il quelques jours plus tôt à La France agricole. Mais le dialogue social ne peut pas consister à considérer que toute la vérité est détenue par l’un ou par l’autre. Il y a un besoin de faire avancer les choses avec le souci des compromis nécessaires. C’est tellement facile d’avoir des postures qui bloquent le dialogue… Il faut être capable de porter un intérêt général. » Est-ce à dire que le temps de la cogestion est révolu ? « Reconnaître le fait majoritaire est un principe du dialogue social, mais il faut respecter l’expression de l’ensemble des professionnels », tranche le futur ex-ministre de l’Agriculture.
Rôle d’interface
Pour le docteur en science politique Alexandre Hobeika, bien que la FNSEA soit désignée responsable de tous les maux dans de nombreux débats publics, elle est en réalité loin d’être toute-puissante. Le syndicat majoritaire fait avant tout office « d’interface », selon lui, entre les agriculteurs et l’État, et les OPA. Le chercheur a mené pendant cinq ans une enquête dédiée au travail de représentation des agriculteurs par la FNSEA. Sa thèse, sur le point de paraître, traite de l’influence du syndicat majoritaire à travers le cas de la fédération de l’Orne, de 1980 à 2015, mais aussi de la lourdeur de la tâche… Car ce rôle d’interface implique pour ses dirigeants de siéger au sein de nombreux comités, relève-t-il. L’un des dirigeants du département compte en effet 33 mandats, la moyenne se situant entre 10 et 15, au seul titre de représentant du syndicat.
Rapports de force
Cette position d’entre-deux se cristallise particulièrement au sein du duo formé par les agriculteurs avec l’administration. Le syndicat majoritaire joue « un rôle para-administratif » important, qui peut s’interpréter comme un service rendu aux agriculteurs et à l’administration. Bien qu’on parle souvent de cogestion, « la relation entre le syndicat et l’administration ne relève pas simplement de l’opposition ni de la collaboration : ce sont des rapports de force permanents », constate Alexandre Hobeika, qui cite le travail de cartographie mené pour les cours d’eau. Et selon lui, si les fédérations sont autant écoutées par l’administration, « c’est que l’État n’est pas en mesure d’administrer plus directement le secteur agricole. La FDSEA est un interlocuteur incontournable par les informations qu’elle apporte à l’administration, mais aussi par sa capacité de blocage ».
Clientélisme
Alors que le syndicat majoritaire intervient également sur la régulation du marché des terres, les autorisations d’agrandissement et les aides à l’installation, « il est souvent critiqué pour son traitement de ces questions, perçu comme en partie clientéliste », relève le chercheur. Dans le même temps, il rappelle que le travail des syndicalistes en commission, pour l’attribution des terres notamment, est un travail lourd. Et qu’en plus, « leur pouvoir est limité et encadré par l’administration ». Impliquée dans la défense des prix payés aux producteurs, face aux transformateurs et à la grande distribution, la FNSEA n’apparaît pas là non plus toute-puissante : dans le cas du lait, elle n’a pas été en mesure de maintenir une régulation par les interprofessions régionales, malgré de fortes mobilisations. « Sur les marchés des produits, le syndicat est en difficulté pour continuer à peser. »
« Services à volonté »
Autre alerte : le taux d’adhésion et le nombre d’adhérents tendent aussi à diminuer. Cependant, une base de fidèles se maintient grâce à l’attrait social engendré par les groupes locaux FDSEA et les « services » rendus par le syndicat, comme le conseil juridique. C’est toutefois la fin des services « à volonté » promis à l’adhésion. « La tendance est au développement de services individualisés et marchands », même si « les adhérents résistent » à ce mouvement. Le contrôle accru de l’État (il devient difficile de jouer sur les réglementations et les missions des institutions) et la forte concurrence des OPA, depuis les années 1990, planent comme des menaces sur cette activité des FDSEA, « peu armées pour y faire face », sauf à renforcer les collaborations entre elles.
L’autre difficulté à laquelle le syndicat doit faire face est la désertion de « certains leaders de l’agriculture, des personnes reconnues localement pour leur excellence professionnelle, avec une exploitation qui tourne bien, et qui ne sont pas ou plus intéressés par le syndicalisme majoritaire », retient Alexandre Hobeika. « Certains d’entre eux aussi ont une mauvaise opinion de l’action du syndicat sur le marché des terres, ou pensent qu’elle n’est plus en mesure de peser face aux transformateurs et à la distribution ». Ils privilégient d’autres responsabilités, qu’ils prennent dans des groupes de développement technique parallèles, ou dans des associations commerciales, à l’initiative d’innovations agronomiques ou commerciales comme la vente directe.
La dégradation du taux de participation des dernières élections aux chambres d’agriculture (54,3 % en 2013, – 11 points) témoigne de cette défiance des paysans à l’égard de toute l’offre syndicale et institutionnelle. La FNSEA parviendra-t-elle à fédérer avant l’échéance de 2019 ? Pour Christiane Lambert et ses équipes, il s’agit de convaincre à l’intérieur et plaire à l’extérieur. Un fil ténu. Or les équilibristes le savent : le meilleur moyen de ne pas tomber, c’est d’avancer.
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